Table ronde 1

Politique du patrimoine : Actualités et Perspectives

 

Animée par Olivier de Lorgeril, président de la Demeure Historique, avec la participation de :

  • Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l’architecture, ministère de la Culture
  • Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au Sénat
  • Véronique Louwagie, députée de l’Orne, vice-présidente de la commission des finances à l’Assemblée nationale
  • Wilfrid Séjeau, vice-président du conseil départemental de la Nièvre en charge de l’enseignement et de la culture

 

Olivier de Lorgeril : La Demeure Historique milite depuis plusieurs années afin qu’au moins 10 % de l’enveloppe globale votée chaque année par l’État (programme 175) soient affectés aux monuments historiques privés qui représentent presque 50 % du parc monumental national.  Le phénomène de sous-consommation des crédits met en exergue une mauvaise exécution budgétaire chronique, notamment en ce qui concerne les crédits votés en faveur des monuments n’appartenant pas à l’État. Pensez-vous que le chiffre de 10 % est pertinent pour maintenir les monuments détenus en mains privées dans un état sanitaire satisfaisant ? Comment expliquer le phénomène de sous-consommation des crédits et comment l’endiguer ?

Jean-François Hébert : Ce qui importe ce sont les crédits réellement alloués dont la forte augmentation est due au plan de relance. (1 milliard d’euros supplémentaire au milliard déjà existant). C’est l’afflux des crédits qui soutient l’activité des entreprises du patrimoine. Nous sommes attentifs aux crédits des monuments historiques n’appartenant pas à l’Etat. Il peut arriver que tous les partenaires ne soient pas au rendez-vous, ce qui peut causer un décrochage. Le montant de 10 % est raisonnable…. Le rapport de la Cour des comptes ne souligne pas la sous-consommation des crédits mais regrette que les chiffres ne soient pas consolidés entre l’apport de l’État et le possible apport des autres ministères concernés.

Véronique Louwagie : En 2023, les crédits évoluent sur le programme patrimoine (76 millions d’euros en plus, ce qui correspond à une augmentation de 7,5 %). Les dépenses seront en augmentation en raison de l’énergie, l’inflation, de la hausse des travaux et des dépenses d’investissements qui vont impacter les crédits. La sous-consommation concerne les crédits d’entretien et de restauration des monuments historiques mais sans tenir compte des différents dispositifs de soutien existants : régime fiscal, soutiens des collectivités territoriales, mission Bern.
Ce millefeuille administratif et financier ne facilite pas l’accès à l’ensemble de ces dispositifs. Nous devons avoir une attention particulière pour que la mise en œuvre de ces soutiens soit opérationnelle. Il est difficile d’avoir une vision globale de l’ensemble des crédits affectés au patrimoine et lorsque les crédits ne sont pas utilisés, c’est une source de déception.

Laurent Lafon : Le Sénat préconise une approche plus territoriale. La première priorité est la préservation du patrimoine qui impacte le territoire. Le fait que la moitié des monuments historiques, appartienne à des propriétaires privés, justifie que l’argent public y soit affecté avec l’effet de levier.
Les crédits non consommés risquent de revenir à l’État et l’une des raisons structurelles identifiée.

 

O.L. : L’un des enjeux majeurs de cette décennie est la performance énergétique des bâtiments. Au regard de la spécificité de ces bâtiments anciens et protégés, les solutions pour satisfaire à cette nouvelle exigence nécessitent souvent des études ainsi qu’un accompagnement technique et financier. Les dispositifs existants n’étant pas adaptés à la dimension et à la protection de ces immeubles, quelles mesures pourraient accompagner financièrement cette transition énergétique dans les monuments historiques ?

J.F.H. : La transition écologique impacte les monuments historiques dont la spécificité doit être mise en avant. Les règles du bâti contemporain ne peuvent être appliquées au bâti ancien. C’est le rôle du ministère de la Culture de plaider auprès du ministère de la Transition écologique des spécificités du patrimoine. Par exemple, sur l’isolation par l’extérieur, il nous incombe de faire savoir que l’essentiel de la déperdition passe par le toit. Si les combles sont isolés, on peut gagner 60 % de la consommation énergétique. Idem pour les menuiseries, autre facteur de déperdition d’énergie. Nous travaillons sur un programme de recherche avec le ministre de la transition énergétique mais une réflexion reste à mener sur les possibilités de financement.

L.L. : La préoccupation patrimoniale n’est pas la priorité par rapport à la préoccupation énergétique et environnementale. Nous avons eu par exemple connaissance de détériorations du bâti suite à des problématiques d’isolation thermique. Les systèmes d’aide financière comme Ma prime rénov ne sont pas suffisamment verrouillés et peuvent nuire à certains types de bâti.
Le travail interministériel est très important. Nous sommes très sensibles à ce que dit le ministère de la Culture et au fait qu’il soit entendu par d’autres ministères, notamment sur une instruction photovoltaïque, afin de donner une ligne claire aux ABF et afin d’uniformiser les pratiques sur le territoire. Cette pratique des instructions interministérielles doit être développée et accélérée.

V.L. : La transition écologique est un enjeu majeur pour plusieurs raisons : volonté de diminution d’émission de CO2 et pour une question financière.
Les Français ne pourront pas agir s’il n’y a pas un soutien massif de l’État. Nous avons obtenu un fonds restauration, intitulé fonds verts, de 2 milliards d’euros pour les collectivités. Il faut cibler les dispositifs de cette nature pour aider les propriétaires en matière d’habitation en prenant en compte les critères des monuments historiques.

W.S. : C’est une démarche qui doit s’inscrire dans la durée. On ne peut appliquer la même règlementation sur des monuments des années 80 que sur des monuments qui ont plusieurs siècles. Une fois que les bâtiments énergivores auront été isolés et que les énergies renouvelables auront été développées, tout ce qui concerne les monuments historiques restera assez marginal dans le bilan carbone. Il y a un chantier stimulant à mettre en place sur la manière de réfléchir et de construire des financements partenariaux.

 

O.L. : De nombreux conseils régionaux et départementaux participent à la restauration et à l’entretien du patrimoine privé. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à financer la restauration et la conservation des monuments historiques privés ?

W.S. : La Nièvre est riche d’un patrimoine culturel et naturel important avec des propriétaires qui ont la volonté d’ouvrir leur lieu. Nous avons le devoir moral et politique de protéger et de léguer ce patrimoine. Nous avons mis en place plusieurs outils : une association (La Camosine) financée par le département qui vise à faire connaître et à valoriser le patrimoine ; une agence de conseil (Nièvre attractive) qui accompagne les porteurs de projets en matière touristique ; un soutien à la Fondation du patrimoine avec le versement de 1 % de subventions ; et un soutien à l’association Rempart qui mène des chantiers d’insertion. Nous allons aussi recruter deux salariés pour conduire une politique de stratégie patrimoniale.

 

O.L. : Actuellement, le Fonds Incitatif et Partenarial (FIP) permet une majoration de la subvention de l’État lorsque les régions s’engagent. Que pensez-vous de la possibilité d’un déclenchement de ce fonds en cas d’intervention des départements ?

J.F.H. : Le FIP, que nous avons rebaptisé Fonds Incitatif Patrimonial, incite les régions à s’engager en faveur du patrimoine (privé et public) dans les petites communes : si la région apporte 15 % de subvention, l’État peut donner un complément financier (le plus souvent jusqu’à 80 %). 500 opérations ont été financées par cet outil. Cette année, nous devrions atteindre les 18 millions d’euros. La ministre de la Culture m’a donné mandat pour étendre ce dispositif à l’ensemble des départements de France.

L.L. : C’est un dispositif innovant et pertinent qui est bien conçu et il serait intéressant de s’interroger sur les blocages de certaines régions qui ne l’appliquent pas. Ce mécanisme peut être pénalisant pour les propriétaires qui seraient dans des régions non éligibles au FIP car sans aide régionales.

V.L. : Ce fonds est un succès et je crois aux dispositifs qui sont au plus près des territoires. Les collectivités territoriales ne se sont jamais autant préoccupées de l’impact du patrimoine sur leur territoire. Il faut s’inspirer de ce dispositif pour d’autres axes.

W.S. : L’extension du FIP aux départements serait envisageable dans une démarche de complémentarité avec les interventions régionales. Je suis partisan de regrouper des financements pour qu’un projet puisse se réaliser et d’avoir une vision stratégique et partenariale avec les acteurs de terrain pour définir les priorités sur les investissements à réaliser.

 

O.L. : Sur la transmission, les rapports de l’IGAC-IGF sur l’ouverture au public (2020) et de la Cour des comptes (2022) relèvent le caractère contraignant de la durée indéterminée de la convention permettant de bénéficier de l’exonération des droits de mutation (795A). Il y a eu des débats sur le sujet dans le PLF 2023 (dépôt d’un amendement finalement retiré pour réduire à 22 ans). Le ministère de la Culture et le Parlement entendent-ils poursuivre cette réforme ou plus globalement proposer d’autres dispositifs pour favoriser la transmission ?

L.L : Ce dispositif est intéressant mais peu performant et il est nécessaire de le faire évoluer. Dans le cadre de l’analyse du PLF 2023, l’amendement pour ramener la durée de conservation à 22 ans a reçu un avis défavorable du gouvernement. Il faudra interroger Bercy pour connaître les freins sur cette disposition et en faire une évaluation financière.

V.L. : Transmettre un patrimoine c’est aussi transmettre de lourdes charges vers des ayants droit. Ce dispositif ne fonctionne pas bien comme le montre le faible nombre de conventions établies. Il faut trouver un juste milieu. Quand un dispositif législatif ne fonctionne pas il faut le faire évoluer.  Réduire le nombre de jours de 60 à 40 peut faire diminuer les charges mais ne répond pas à l’objectif.
Nous devons continuer à discuter avec le ministère pour trouver un juste équilibre.

J.F.H. : Le ministère est sur la même ligne que la Demeure Historique et soutient cet amendement. La bataille n’est pas perdue avec des points d’appui forts : le rapport IGF-IGAC, le rapport de la Cour des comptes, le vote positif du Sénat. Nous verrons quelle stratégie mettre en place et comment aborder les services de Bercy et ceux de la première ministre.

O.L. : Un monument entretenu et restauré constitue une valeur ajoutée qui participe au rayonnement de cette collectivité par sa contribution à l’attractivité touristique. La Demeure Historique a mis en place un Passeport territorial des demeures historiques et cette initiative privée a été relayée dans certains territoires par les pouvoirs publics. Comment les collectivités territoriales peuvent-elles aider les monuments historiques privés à être des acteurs du rééquilibrage et du maillage territorial sur l’offre touristique ?

W.S. : Il y a un passeport territorial pour la Nièvre. Le travail de la collectivité c’est de mettre en valeur ce travail et de proposer aux touristes et aux habitants des parcours, des séjours articulés avec d’autres offres basées sur la culture, le patrimoine, la qualité de vie, etc. J’aimerais aussi travailler pour que les jeunes collégiens et lycéens connaissent leur patrimoine et découvrent les richesses existant autour de chez eux.

 

O.L. : Les architectes des bâtiments de France (ABF) sont les premiers relais du ministère de la Culture et les interlocuteurs privilégiés des propriétaires de monuments historiques. Il est observé un manque de moyens humains dans les Unités départementales d’architecture et du patrimoine (UDAP) et un amenuisement de leur mission au profit des collectivités. Pensez-vous que les ABF puissent dans ces conditions remplir leur mission de manière satisfaisante et garantir la protection des abords ?

J.F.H. : Les ABF sont les défenseurs du patrimoine au premier rang et nous sommes conscients de la baisse d’attractivité de ce métier.

Nous travaillons en lien avec les écoles d’architecture, avec l’école de Chaillot, pour des concours plus accessibles, pour susciter plus de vocation, pour augmenter leur rémunération. Sur le manque d’agents dans certains départements, nous avons ouvert des concours pour recruter des techniciens avec possibilité d’avoir des contractuels. Nous avons privilégié la réponse aux citoyens sur les demandes d’autorisation en urbanisme qui ont progressé de 40 % en 2 ans.

L.L. : On constate un double affaiblissement : manque d’attractivité de la fonction, et départs massifs à la retraite dans les prochaines années (1/3 des effectifs). Certaines missions des ABF (AMO) ne peuvent pas être remplies correctement. Leur rôle est régulièrement affaibli (Loi Elan avec l’avis conforme retiré sur les antennes téléphoniques) et sur les énergies renouvelables.

V.L. : Il faut se redonner les moyens pour que les ABF soient des acteurs pour défendre leurs objectifs, pour être le relai, et aider le décideur à mettre en œuvre des politiques pour que le patrimoine puisse garder toute sa dimension.

L.L : Un texte est en discussion sur les énergies renouvelables qui porte sur l’éolien offshore, terrestre et le photovoltaïque. L’avis conforme sur le photovoltaïque, remis en cause, a été rétabli à une large majorité. Cela montre que la menace sur la détérioration des paysages et de l’environnement reste un vrai enjeu.

 

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